Récit et souvenirs d’une amitié
par Vincent BEBERT

Réflexions personnelles suite à la lecture de ce livre
Vincent Bebert raconte la vie de Sam Szafran, et par la même occasion, il se livre. Il évoque son chemin dans et vers la peinture. Peintre pourtant sorti des beaux-arts de Versailles, c’est au contact de ses maîtres qu’il apprend le plus. D’abord Alexandre Hollan, puis Sam Szafran dont la disparition récente a motivé l’écriture de ce livre.
Un maître ne se distingue pas par un discours de la méthode. En relatant à Vincent Bebert son parcours de vie avec plus ou moins de précisions selon les circonstances remémorées, certaines n’étant que suggérées et pour cause, Sam Szafran explique son devenir, tant le sien que celui de sa peinture, l’art et la vie étant très intimement liés. La personnalité d’un artiste est prégnante dans son travail, le rendu d’un tableau étant surtout le résultat d’un tempérament. En art visiblement, le talent se construit aussi au contact de la vie qui forge un état d’âme, un esprit, une personnalité. Cette intériorité a tout autant sinon plus d’impact dans la réalisation d’une peinture, notamment de paysages, que la maîtrise des couleurs ou de la composition.
A cela s’ajoute un travail du regard, tant de celui qui peint que de celui qui contemple. L’artiste de paysage doit s’intéresser aux deux. En effet, pour qu’un paysage puisse entrer dans ses yeux (j’aime cette expression que je reprends à Danielle Sallenave qui l’utilise dans La Fraga, pseudonyme de la peintre Mary Gordon dont elle fait le portrait dans ce roman), il doit en percevoir les couleurs, et à lire Vincent Bebert, ou on le prend pour un daltonien, ou on comprend ce qui fait la force du paysage en peinture, ce qui le rend sublime. Une forêt de montagne, ce n’est pas qu’une palette de verts. C’est aussi des mauves, des gris chauds, des blancs réchauffés ou refroidis. Vincent Bebert nous confie comment il a appris à distinguer ces nuances et l’on comprend comment ses paysages de montagnes peuvent devenir océaniques, couplés à des teintes chaudes, sans qu’ils ne soient pour autant crépusculaires.
C’est d’ailleurs par ces paysages que j’ai rencontré la peinture de Vincent Bebert. C’était, je me souviens, à la galerie Prodromus, à Paris dans le 11ème, en 2015 très exactement. Ces paysages me rappelaient les marées d’équinoxe de la mer du Nord, ce plat pays qui est le mien, paysage de mon enfance, lieu d’innocence et de liberté, à l’image des éléments qui le composent, éléments qui ne connaissent pas de limites dans leur beauté et leur extravagance, si ce n’est à l’aurore, moment plausible d’accalmie, ou en fin d’après-midi quand le vent tombe.
Or, un jour, Vincent Bebert a commencé à placer au centre de ses paysages, du moins au premier plan, des animaux, des amis, des voisins, des membres de sa famille, des paniers de fruits et même Adam et Eve. Ce fut pour moi une trahison, et qui plus est, une perversion de sa peinture. La déesse de la nature, sa majesté la terre et tous ses valets verdoyants, n’étaient-ils plus suffisants ? En lisant cette conversation avec Sam Szafran, j’ai trouvé des réponses. Ces figures en premier plan sont au service de la profondeur du paysage. Elles ouvrent le paysage sur l’illimité. Elles sont un second centre et ainsi la nature redevient le centre principal. Elle n’est plus seulement un fond.

Il y a aussi dans ce livre, et ce sera le dernier point sur lequel je voulais m’exprimer, les confidences d’un artiste sur son travail, sur son entourage proche, confidences qui sont aussi celles d’un homme et que tout un chacun peut avoir dans le parcours qui est le sien. Les doutes et les recherches sur son travail, les moments de découragement, le regard des autres, ce qu’il faut en faire et ce que lui suggère à ce titre son ami Sam. Chacun peut reprendre à son compte ces questionnements et tentatives de réponse. En ce sens, ces confidences d’ordre individuel ont une portée plus générale, si ce n’est universelle.
Chapeau bas Vincent pour ce livre très émouvant qui m’a appris à mieux te connaître et qui, à sa manière, me bouleverse et me transforme.


