Niki de Saint Phalle utilise des matériaux de récupération dans ses créations. « Le cheval et la mariée », « La mariée sous l’arbre » sont composées à partir d’une multitude d’objets assemblés sur des grillages : petites bouteilles, fleurs synthétiques, fruits plastique, passoires, boîtes d’œuf, jouets d’enfant… Cela nous amène à mettre en parallèle de cette expo du Grand Palais, celle de l’art brut de la Maison Rouge. Y est exposée la collection de Decharme, collection qui se compose de toutes les oeuvres recueillies auprès d’artistes autodidactes, handicapés mentaux ou artistes médiumniques issus du courant spirite. Ces personnes ont elles aussi créé leurs oeuvres à partir de ce qu’elles avaient sous leur main: du carton, des feuilles de cahier, des versos de revus (le plus souvent médicales), des objets hors d’usage, des fils de fer, de coton ou de laine, des boutons, des produits pharmaceutiques, des mines de plomb, des substances et des résidus organiques…. et leurs oeuvres sont tout aussi stupéfiantes et dignes d’admiration que celles de Niki de Saint Phalle.
Or les œuvres de NSP sont le vecteur d’un discours, et c’est ce qui les différencie des oeuvres des artistes de l’art brut. Ou l’art est une démonstration féministe : la femme non seulement procrée, mais aussi et surtout crée. NSP le dit dans une interview diffusée dans la seconde salle : la femme crée pour créer, et en cela elle s’oppose à l’homme, mais non pas au sens restrictif où c’est elle qui porte l’enfant, mais au sens où il n’y a pas dans ses œuvres une ambition de toute puissance et de destruction, à l’image des hommes qui, en produisant des armes de guerre, créent les moyens de se détruire. Ou l’art est un exutoire : NSP peut se libérer de la violence qui l’habite. Dès la première salle, le tableau où sont collées des armes nous met sur le chemin de cette réalité. Les compositions et performances qui seront présentées dans la suite de l’exposition la confirmeront. Les « Tirs » sont un moyen de créer des toiles monumentales sur lesquelles la peinture est projetée à coup de révolver, et un moyen de tuer un père incestueux… Les « Nanas » qui prennent le thé témoignent quant à elles du mépris envers une mère qui ne l’a ni protégée, ni encouragée. NSP a su métamorphoser le drame dont elle fut victime en une force de création, et au delà d’elle-même et de sa propre douleur, c’est l’abrutissement de la femme et sa déplorable condition qu’elle a su dénoncer.
Or les oeuvres des artistes de l’art brut sont la création d’un autre monde, un monde qui n’est autre que le leur et qui est le seul qui soit. C’est ce qui les différencie des oeuvres de NSP. Plus qu’un exutoire, c’est une affirmation de soi, une simple manière de dire « je ». L’artiste allemand Hans-Jörg Georgi, peu mobile et ayant contracté la polio dans son enfance,
fabrique des avions en carton. Cette activité est sa raison d’être, son passe-temps favori, comme en témoigne le film qui lui est consacré et qui montre par la même occasion l’Atelier Goldstein, cet espace de création autonome pour les artistes handicapés. Quand bien même celui-ci ne se dit pas à vocation thérapeutique, il permet aux artistes qui y sont encadrés de progresser dans la mesure de leurs possibilités. Hans-Jörg Georgi construit désormais de véritables villes volantes !
Ne profite-t-on pas de cette frontière mouvante entre visée artistique et visée thérapeutique, pour introduire ici une ambition marketing ? Et cela n’est-il pas gênant ? Cette question se pose d’autant plus dans la salle où sont exposés ces avions, tous suspendus d’une manière monumentale, à l’image des nanas de NSP dans la dernière salle de l’exposition qui lui est consacrée au Grand Palais. Cette scénographie d’exposition, si elle met en valeur les œuvres de NSP, ne trahit-elle pas la nature profonde et intrinsèque des oeuvres de Hans-Jörg Georgi ? De même, cette passion pour la mort et ce goût de disséquer des corps font-ils de Lubos Piny, ce fossoyeur tchèque, un artiste ? Si ces représentations du corps humain sont empruntes d’une minutie exceptionnelle, sont-elles pour autant des tableaux de grand maître ? Si les boîtes de Pétri contenant les cendres de ses parents sont stupéfiantes, à la limite terrifiantes pour nous visiteurs qui recherchons de l’émotion, ont-elles pour autant leur place dans une expo d’art ?
Ces questions ne se posent pas dans l’exposition sur NSP, quand bien même certaines de ses oeuvres sont toutes aussi déjantées, et ce dans la mesure où NSP se revendique comme artiste.
Les codes scénographiques d’une galerie d’art n’auraient peut-être pas dû être utilisés dans une exposition d’art brut. Ce qui ne veut pas dire que l’art brut ne doit pas être exposé, mais il doit l’être autrement et d’une manière qui ne trahisse pas l’âme de ses auteurs.
Etude très sérieuse, à la fois de NSP et de l’art brut exposé à La Maison Rouge, et des remarques critiques intéressantes. Comparaison intelligemment menée.
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