A l’occasion des portes ouvertes de l’atelier de Vincent Bebert, les 16 et 17 novembre 2019, ces quelques lignes sur son travail que je suis et apprécie depuis plusieurs années.
I La peinture de paysage
Dans l’histoire de la peinture, il y a le paysage historique de Poussin au grand siècle, qui inspire de nobles sentiments par son ordonnance juste, fine et classique. Il y a la peinture d’histoire de David au moment de la révolution, où seuls comptent l’ordonnance et le dessin dans des tableaux quasi politiques. Il y a le réalisme de la vie du monde paysan de Courbet, de Millet aussi, et la beauté d’harmonie des paysages de Corot, le romantisme d’Eugène Delacroix dans des toiles nourries par sa force imaginative et la grande poésie de Lord Byron ou de Shakespeare. Il y a encore la solennité et la solitude du voyageur de Caspar David Friedrich devant une mer de nuages et les études dans la nature même de William Turner, les impressionnistes qui les premiers iront sur le motif, dehors avec la peinture à l’huile, puis le pointillisme de Georges Seurat, et la suite que vous connaissez de Van Gogh notamment qui projette ses tourments, et le feu de son âme dans ses paysages.
Le peintre sur le motif, Haute-Savoie, 2019
Initiée par les paysagistes anglais, puis hissée au premier rang de la peinture française au XIXème siècle, la nature en peinture s’est vue moins traitée par les peintres de la modernité au XXème siècle, qui sont entièrement pris par l’invention de l’abstraction, du minimalisme, du cubisme, du futurisme et ensuite de l’art conceptuel issu du dadaïsme, pour ne citer que ceux-la, des grands mouvements de la modernité…
Né en 1980, Bebert inscrit son travail dans un certain renouveau de la nature dans la peinture, renouveau qui s’appuie sur le travail sur le motif et sur l’étude de la sensation colorée, dehors sous la pluie, dans le vent, etc… Ce n’est pas une posture, c’est une part de lui : en effet très tôt, alors qu’il a souvent vécu à l’orée de la campagne, il a peint dehors, sur le vif, et pour lui cette démarche coulait de source pour ainsi dire, il n’y a pas eu de décision, c’était évident.
C’est comme cela que l’arbre est depuis longtemps un sujet essentiel pour Vincent Bebert, avant même qu’il ne rencontre Alexandre Hollan dans cette recherche, ami à côté duquel il travaille depuis une quinzaine d’années maintenant. En effet chaque été, Bebert et plusieurs autres peintres, des amis, presque des frères d’armes, se retrouvent dans le midi, dans l’atelier d’été de Hollan, théâtre de leurs échanges.
Les peintres chez Hollan, Hérault, 2019
Hollan et Bebert ont comme ancêtres communs, les arbres de Théodore Rousseau, de Claude Le Lorrain, de Gustave Courbet, de Corot pour ne citer que ceux-là.
Arbre traversé par la lumière et l’espace,
130 x 96 cm, huile et terre sur toile, 2019
Chez Alexandre Hollan, Hérault, 2019
Epris des grands espaces, épris de la terre, Vincent Bebert peint face aux montagnes. Coloriste avant tout, il modèle arbres, forêts, champs, montagnes, chevaux. Ces présences se dessinent sur les ouvertures lumineuses, des éclaircies en arrière-plan.
L’horizontalité qui structure souvent sa toile est imprégnée de profondeur, dans les bleutés du lointain, et ce justement grâce à des effets de masses et de forces entre elles, des jeux sur des camaïeux de couleurs, sur les valeurs et sur les tons : la touche libre de l’expressionisme aussi qui accentue tel contraste pour créer des volumes. Ce travail à tâtons où tout est affaire de plus ou moins, comme le disait Bonnard, l’autre grand maître, est à l’image du jeu labile de la lumière dans la nature.
Chemin, huile sur papier marouflé, 250 x 122 cm, 2017
Pour Bebert, il ne s’agit pas de copier l’image d’Epinal d’un beau paysage, il est question d’un travail intérieur qui cherche à donner sa vision de la nature : une imagination à l’œuvre qui transfigure le paysage et le fait apparaître tel que nous ne l’aurions jamais vu. Il y a quelque chose de romantique, dans l’affirmation de cette vision personnelle. Et la vision n’est pas affaire de technique, elle est d’abord mentale, intime, dans la sensibilité du peintre, bien entendu.
Cependant, Vincent Bebert possède bel et bien sa technique – qui est toujours à remettre en cause, mais toutes ses expériences sur le motif, dans la neige, dans la boue, sous la pluie, l’ont amené à creuser ses médiums et à les mettre au point. Qui plus est, la nature lui a insufflé ses propres rituels pour ainsi dire : estomper son tableau quand il pleut par exemple, ou lier la terre à la peinture le soir quand il y a plus d’humidité ambiante dans l’air et dans le sol, dans la matière aussi afin que le mélange se fasse plus naturellement.
Grâce à ces heures où il s’est laissé imprégner, et même où il a rejoint la nature dans une forme de chamanisme intuitif – lui dont une part des ancêtres étaient des chamanes d’Asie centrale, ou des paysans d’Occitanie qui connaissaient bien la terre et ses ressources, il trouve à saisir ce que la nature donne alors à voir, des teintes d’une infinie subtilité: des verts bleutés et des bleus violacés dans un ciel azur, de l’ocre jaune qui dessine la courbure d’un feuillage, une lumière blanche l’été et de fins rayons jaune citron au début du printemps…
Tendres verts, 130 x 130, huile sur toile, 2018
Mariette dans le couchant, Tempéra sur papier, 65 x 162 cm, 2019
II Une peinture d’intimité
Dans ces récents paysages terriens et mouvants, nous assistons à l’apparition d’un sujet supplémentaire comme issu d’un rêve : quelques fruits dans un panier posé à même la terre, comme si, de la tempête de Turner – ses travaux connus de nous jusqu’alors, on était rendu aujourd’hui, au déjeuner sur l’herbe de Manet.
Panier de pêches,
tempéra, 50 x 65, 2019
Les montagnes demeurent comme des escaliers de la planète vers le ciel, Bebert poursuivant son travail tellurique et atmosphérique, sur l’immensité et ses grandes forces. Mais des paniers de pêches, de cerises, des tomates avec quelques courgettes aussi, apparaissent maintenant au tout premier plan, comme posés là, à portée de main. Vincent dévoile ici son talent pour les « vies silencieuses », façon dont son ami Alexandre Hollan nomme la « nature morte ». Il sait rendre la rondeur du fruit et les reflets de sa peau. Des fruits sensuels qui touchent à notre intimité, d’autant plus proches.
Panier de pêches dans le paysage, tempéra, 100 x 65 cm, 2019
Courgettes, tomates, tempéra, 100 x 65 cm, 2019
Apparaît-il ici quelque chose de plus aimable – moins terrible dans sa peinture, quelque chose de plus pittoresque ? De plus magique peut-être … l’avenir de son travail nous le dira.
Enfin de la sensualité du fruit à une étreinte entre deux amants, il n’y a qu’un pas. Le peintre ramène ainsi la figure humaine dans cette nature sauvage, un couple d’amants qui s’enlacent. Est-ce Adam ? Est-ce Eve ?
Dans la peinture d’histoire, la nature ne devient finalement qu’une scène, un décor, et au fond, ce n’est pas faux de le dire, elle est délaissée, abandonnée, pour une action qui lui est préférée en un sens… Ce n’est pas le cas dans ces travaux. En effet avec l’apparition des fruits, de l’homme et de la femme, ces paysages se laissent insuffler quelque chose de la Genèse et de l’Eden, et on sent que nature, figure humaine, fruits sont parts d’un tout qui reste son grand sujet, le monde, la nature, la vie.
Les amants, 200 x 180 cm, huile sur toile, 2019
A titre personnel, je ne cesse d’observer et de sentir quelque chose de tellurique, je l’ai dit, mais aussi il advient, si on reste un moment devant ces tableaux, une harmonie, une bienfaisance. Je pense à Schopenhauer et à cette vie que l’on cesse de vivre sur le mode de l’horizontalité grâce à l’émotion esthétique. J’ajoute que l’émotion esthétique naît aussi d’une forme d’over come spécialement dans sa peinture, qui nous apporte une force bienfaisante, au travers de sa tempête, dans ce chahut, au cœur du mouvement.
En ce sens, Bebert est malgré son tempérament emporté, un parent de Bonnard, pour le sentiment optimiste, presque heureux, insoupçonné mais très profond, qui sourd de ses œuvres – et en dépassant, mieux en transcendant le tourment de ses toiles en une forme d’énergie qui est désir de vivre. La vraie vie, pourraient dire les grecs ?
Merci à Vincent Bebert pour son aide dans la clarification sur ses recherches actuelles et dans la juste formulation de ces quelques lignes.