Gustave Caillebotte au musée d’Orsay

Dans le travail de Gustave Caillebotte (1848 – 1894), lieux, thèmes, couleurs et traits se répondent. Chaque élément compose avec le tout. Observons ces notables dans leur intérieur bourgeois : un chromatisme sombre, mais aussi un travail sur le rendu des matières qui fait valoir l’aspect cossu de ces salons : le velours des fauteuils, la laine des tapis, le bois des parquets, le tissu lourd des rideaux. Le regard devine les textures, une peinture épaisse aux reflets savamment orchestrés. Merci à l’huile qui permet de creuser les formes sur la toile grâce à sa multiplicité de nuances. La lumière scintille dans les verres à pieds et les carafes à vin sur ces tables à manger aux nappes brodées. Elle vient des fenêtres éclairer ces intérieurs opulents. Le contraste avec la rue dans la série des tableaux dédiés aux travailleurs urbains n’en est que plus grand. Leur tenue de travail dans les tons bleu clairs et blanc, en opposition aux costumes bourgeois gris anthracite à la limite du noir, s’accorde avec les façades parisiennes éclairées par la lumière blanche de la mi-journée.

Cette dualité du bourgeois et de l’ouvrier, du clair et de l’obscur, de l’intérieur et de l’extérieur, du travail et du loisir se rejoue sur le pont de l’Europe où chacun se croise avec son allure et ses couleurs, photographie d’un instant pris au temps de la révolution industrielle, composition fugace et moderne au sens esthétique du terme, là devant la fumée de l’usine très habilement représentée par des tâches épaisses de blanc écrasées au couteau.

Des paysages urbains, travaillés comme chez Monet avec des touches très esquissées, sont peints comme des visions en plongée, des vues d’en haut certes, celles de ces hommes au balcon de leur appartement parisien, mais aussi des vues d’en bas, large et panoramique, à la manière de « Rue de Paris, Temps de pluie » qui fait entrer le paysage urbain et le temps présent dans un format de peinture d’histoire. Ici, nous ne sommes plus dans des scènes de genre, mais le bourgeois est représenté dans ce qu’il façonne le mieux à cette époque : la ville et en particulier Paris avec ses perspectives haussmanniennes. Accessoire de prestance, le parapluie permet de se tenir droit et d’être ainsi à la hauteur de son accomplissement social et économique. Avec cette idée en tête, nous ne pouvons considérer que comme baroque la série de tableaux dédiés aux célibataires, ces portraits d’hommes qui contrastent avec la société d’alors en laquelle l’accomplissement viril passe notamment par la famille. On retrouve en cette salle, l’obscurité des scènes de genre de Vélasquez et de Georges de la Tour, et elle n’en est que plus intense au regard de la série suivante, celle des sportmen et des paysages verdoyants des alentours de la capitale. Si ce ne sont pas le Bras du chapitre, bras de la Marne, ça y ressemble beaucoup et on devine ici l’influence de Paul Cézanne, notamment dans le rendu de l’eau qui coule dans des reflets vibrants et des feuillages aux camaïeux de verts mouvants et saisissants. Gustave Caillebotte est peintre, avant d’être collectionneur, et cette superbe rétrospective au musée d’Orsay nous le rappelle résolument.