Le mystère Cléopâtre – Institut du monde arabe (IMA)

Ce qu’on apprend de Cléopâtre dans l’exposition qui lui est consacrée à l’Institut du monde arabe, c’est qu’on ne sait rien d’elle. Cléopâtre est un fantasme et ce, tant pour les femmes que pour les hommes. Et parce que c’est un fantasme, on peut imaginer et créer mille et une choses à son sujet.

L’exposition n’est cependant pas démunie d’objets issues de fouilles archéologiques et de références littéraires et historiques : tant de choses exposées dans une scénographie fabuleuse qui donne à cette exposition sa grandeur et qui traduit la majesté mythique de cette reine grecque d’Egypte. Alors Cléopâtre, un mystère ? Oui, mais surtout une légende et une icône.

Le hors-série des Beaux Arts peut faire valoir une figure du féminisme contemporain et une occasion aussi pour l’IMA de parler de l’Egypte, il n’en demeure pas moins que nous sommes ici plongés dans l’imaginaire, celui qui nourrit la littérature et le cinéma, mais aussi la sculpture et la peinture depuis la Renaissance, ainsi que la mode et la joaillerie.

Le parcours commence par l’exposition d’une sculpture de Jean-Baptiste Goy, artiste du XVIIIème siècle, Cléopâtre debout qui maîtrise le serpent. Ce corps sculpté dans du marbre donne le ton du portrait qui sera découvert au fil de nos déambulations : celui d’une femme courageuse qui a su préserver l’autonomie de ses territoires, territoires allant bien au-delà de l’Egypte, des îles dans la Méditerranée telles que Chypre, mais aussi des terres dans ce qui serait actuellement le sud de la Turquie : une femme qui poursuit ses ambitions, qui va au bout de ce en quoi elle a foi, en dépit des dangers qui la guettent, malgré les obstacles et les forces adverses, malgré la puissance de ce qui lui fait face, une femme qui ne renonce pas.

Le parcours se termine par un trône vide, pièce de Barbara Chase-Riboud, artiste contemporaine née en 1939. Ce trône en bronze doré est exposé dans la même scénographie que la statue, c’est-à-dire entouré de miroirs, des rectangles de miroirs disposés en demi-cercle comme pour agrandir la portée de ces pièces qui n’ont que notre imagination pour discourir.

La statue de Cléopâtre (par Jean-Baptiste Goy) est placée à l’entrée de l’exposition, au seuil d’une salle au plafond haut. Cette salle a l’allure d’un temple, avec ces murs bleu marine et ses jeux de lumière claire-obscure. Chapeau bas pour cette scénographie qui vaut à elle-seule le détour. Sont exposés des pièces de monnaie, des portraits sculptés dans du marbre de César, Marc-Antoine et bien-sûr Cléopâtre, une statue en bronze, celle de Césarion, et enfin des corniches de temple. Le chromatisme sombre du lieu met si bien en valeur ces pièces minérales qui dégagent une aura sans pareil, les mythes parlant pour elles. Une urne en albâtre, une couronne en feuille d’or, un masque au cartonnage doré, mais aussi des bijoux, des peignes, un miroir à boîte ornée d’une tête : tant d’objets qui témoignent de la civilisation de cette époque. Les objets liés à la cosmétique, accrochés dans une ambiance de boudoir, nous rapprochent un peu plus de cette femme dont on apprend qu’elle aurait fait des recherches dans le domaine de la cosmétique. Des repères chronologiques et matériels qui préservent le mythe et nous amènent à penser que les savonnettes de la marque « Cléopâtre » … ce n’est pas que du marketing !

La dimension pédagogique de cette exposition est aussi à relever dans cet audiovisuel qui enseigne sur une carte du bassin méditerranéen, les périples de César, de Pompée, de Marc-Antoine puis d’Octave qui deviendra Auguste, et leur lien avec l’Egypte, le grenier à graines de l’empire romain, et donc avec Cléopâtre et la dynastie des Ptolémées (d’Alexandre Le Grand à Cléopâtre).

Par ailleurs, et la série de peintures qui suivent le démontre, les peintres du XVIème au XXème siècle ont vu chez Cléopâtre un sujet plastique à saisir. Variant les décors, orientalistes chez Louis-Marie Baader (1828-1920), Jean-André Rixens (1846 – 1925) et Alexandre Cabanel (1823 – 1889), plutôt baroque chez Le Guerchin (1591 – 1666) et Claude Vignon (1593 – 1670), très rococo chez Tiepolo (1696 – 1770), ils représentent toujours Cléopâtre se faisant mordre la poitrine par un serpent. Iconographie restreinte et ô combien reprise, à tel point qu’elle interroge. Ces peintres vouaient-ils un culte à Cléopâtre, femme dont le suicide témoigne de sa dignité, de sa force intérieure : plutôt mourir que se rendre. Ou, sous couvert de peinture d’histoire, ces peintres ne traduisaient-ils pas dans cette représentation de Cléopâtre, un certain mépris, une figure du mal ? En effet, ainsi représentée, elle ressemble aussi à l’Eve pécheresse.

Pour cause, on a d’abord appris à connaître Cléopâtre avec Plutarque qui l’évoquait non pas pour sa génialité et son aura, mais parce qu’il faisait les portraits de César, de Pompée, d’Antoine et d’Octave. Une vision pour le moins masculine, si ce n’est machiste et misogyne, s’est visiblement perpétuée dans l’histoire. Cléopâtre a cependant exercé un vrai pouvoir de fascination depuis la Renaissance sur des écrivains tels que Shakespeare (1564 – 1616) et Pascal (1623-1662), ainsi que sur d’autres dont l’exposition révèle les pages d’écriture en lesquelles elle est évoquée. Alors, fine stratège, figure maternelle ou cruelle, amoureuse, sorcière ? Chacun, chacune doit se faire son idée de Cléopâtre !

La renaissance en a fait une légende, le cinéma, une icône. Des extraits de film sont ensuite projetés sur les hautes parois de la salle suivante. Toutes les actrices qui l’ont interprétée apparaissent : Monica Bellucci, Elisabeth Taylor, Helen Gardner, Claudette Colbert, Pascale Petit, Mimi Coutelier, Linda Cristal. Cléopâtre, un sujet qui fait peindre, mais un sujet qui fait aussi tourner. Le parcours muséal prend à ce moment un côté glamour tout à fait inattendu, et ce d’autant plus que les robes portées sur les tournages sont exposées peu après : le manteau royal porté par Elisabeth Taylor, la robe noire brodée de perles nacrées et la robe en soie sauvage brodée parée de tulles de soie (Dior), toutes deux portées par Monica Bellucci dans le film Astérix & Obélix : Mission Cléopâtre (2002).

Il convient cependant de sortir Cléopâtre de cette image machiste qui lui colle à la peau et cette exposition a le mérite de faire connaître des artistes contemporaines, oui des femmes, qui luttent par leur travail contre l’exposition très sexualisée et manipulatrice de Cléopâtre : la nasothèque d’Esmeralda Kosmatopoulos qui a sculpté dans du marbre les formes de nez repérées dans diverses peintures et sculptures en est un exemple. De même, la représentation de Cléopâtre dans les vêtements d’une femme de notre temps, par Cindy Sherman, nous invite à penser que Cléopâtre ne serait pas une femme d’un autre temps et que les femmes d’aujourd’hui pourraient tout à fait s’en inspirer.